Extraits du discours prononcé par
le Che au cours du Séminaire économique de solidarité
afroasiatique, les 22 et 27 février 1965 à Alger.
Chers frères,
Cuba participe à cette Conférence,
d'abord pour faire entendre à elle seule la voix des peuples
dAmérique, mais aussi en sa qualité de pays
sous-développé qui, en même temps, construit
le socialisme.
Ce n'est pas un hasard s'il est permis
à notre représentation d'émettre son opinion
parmi les peuples dAsie et dAfrique. Une aspiration
commune nous unit dans notre marche vers l'avenir: la défaite
de l'impérialisme. Un passé commun de lutte contre
le même ennemi nous a unis tout au long du chemin.
Cette conférence est une assemblée
de peuples en lutte ; cette lutte se développe sur deux
fronts également importants et réclame tous nos
efforts. La lutte contre l'impérialisme pour rompre les
liens coloniaux et néo-coloniaux, qu'elle soit menée
avec des armes politiques, des armes réelles ou avec les
deux à la fois, n'est pas sans lien avec la lutte contre
le retard et la misère ; toutes deux sont des étapes
sur une même route menant à la création d'une
société nouvelle, à la fois riche et juste.(...)
Chaque fois qu'un pays se détache
de l'arbre impérialiste, ce n'est pas seulement une bataille
partielle gagnée contre l'ennemi principal, c'est aussi
une contribution à son affaiblissement réel et
un pas de plus vers la victoire finale.
Il n'est pas de frontière dans cette
lutte à mort. Nous ne pouvons rester indifférents
devant ce qui se passe ailleurs dans le monde, car toute victoire
d'un pays sur l'impérialisme est une victoire pour nous,
de même que toute défaite d'une nation est défaite
pour nous. La pratique de l'internationalisme prolétarien
n'est pas seulement un devoir pour les peuples qui luttent pour
un avenir meilleur, c'est aussi une nécessité inéluctable.
(...)
Nous devons tirer une conclusion de tout
cela: le développement des pays qui s'engagent sur la
voie de la libération doit être payé par
les pays socialistes. Nous le disons sans aucune intention de
chantage ou d'effet spectaculaire, ni en cherchant un moyen facile
de nous rapprocher de tous les peuples afro-asiatiques, mais
bien parce que c'est notre conviction profonde. Le socialisme
ne peut exister si ne s'opère dans les consciences une
transformation qui provoque une nouvelle attitude fraternelle
à l'égard de l'humanité, aussi bien sur
le plan individuel dans la société qui construit
ou qui a construit le socialisme que, sur le plan mondial, vis-à-vis
de tous les peuples qui souffrent de l'oppression impérialiste.
Nous croyons que c'est dans cet esprit
que doit être prise la responsabilité d'aider les
pays dépendants et qu'il ne doit plus être question
de développer un commerce pour le bénéfice
mutuel sur la base de prix truqués aux dépens des
pays sous-développés par la loi de la valeur et
les rapports internationaux d'échange inégal quentraîne
cette loi. (... )
Comment peut-on appeler " bénéfice
mutuel " la vente à des prix de marché mondial
de produits bruts qui coûtent aux pays sous-développés
des efforts et des souffrances sans limites et l'achat à
des prix de marché mondial de machines produites dans
les grandes usines automatisées qui existent aujourd'hui
? (...)
Les pays socialistes ont le devoir moral
de liquider leur complicité tacite avec les pays exploiteurs
de lOuest. Le fait que le commerce est actuellement réduit
ne signifie rien. En 1959 Cuba vendait du sucre occasionnellement
à un pays du bloc socialiste par l'intermédiaire
de courtiers anglais ou d'autres nationalités. (...)
Il n'est pas pour nous d'autre définition
du socialisme que l'abolition de l'exploitation de l'homme par
l'homme. Tant que cette abolition ne se réalise pas nous
restons au stade de la construction de la société
et si, au lieu que ce phénomène se produise, la
tâche de la suppression de l'exploitation s'arrête,
et même recule alors on ne peut plus parler de construction
du socialisme.
Toutefois l'ensemble des mesures que nous
proposons ne sauraient être prises unilatéralement.
Il est entendu que les pays socialistes doivent payer le développement
des pays sous-développés. Mais il faut aussi que
les forces des pays sous-développés se tendent
et prennent fermement la voie de la construction d'une société
nouvelle quels que soient les obstacles où
la machine, instrument de travail, ne soit pas un instrument
d'exploitation pour l'homme. On ne peut pas non plus prétendre
à la confiance des pays socialistes si l'on joue à
garder l'équilibre entre capitalisme et socialisme en
essayant d'utiliser les deux forces en compétition pour
en tirer des avantages précis: une nouvelle politique
de sérieux absolu doit gouverner les rapports entre les
deux groupes de sociétés. Nous devons souligner
encore que les moyens de production doivent être de préférence
aux mains de lÉtat de façon à ce que
les marques de l'exploitation disparaissent peu à peu.
(... )
Le néocolonialisme a montré
ses griffes au Congo. Ce n'est pas un signe de puissance mais
bien de faiblesse; il a dû recourir à la force,
son arme extrême, comme argument économique, ce
qui engendre des réactions d'opposition d'une grande intensité.
Cette pénétration s'exerce aussi dans d'autres
pays et sous une forme beaucoup plus subtile qui crée
rapidement ce qu'on a appelé la "sudaméricanisation"
de ces continents, c'est-à-dire le développement
d'une bourgeoisie parasitaire qui najoute rien à
la richesse nationale mais qui, au contraire, accumule hors du
pays dans les banques capitalistes ses énormes profits
malhonnêtes et traite avec l'étranger pour obtenir
encore davantage de bénéfices, avec un mépris
absolu pour le bien-être de son peuple. (... )
L'aspect de la libération par les
armes d'une puissance politique d'oppression doit être
abordé suivant les règles de l'internationalisme
prolétarien: s'il est absurde de penser qu'un directeur
d'entreprise dans un pays socialiste en guerre puisse hésiter
à envoyer les tanks qu'il produit sur un front ne pouvant
présenter de garanties de paiement, il ne doit pas sembler
moins absurde de vouloir vérifier la solvabilité
d'un peuple qui lutte pour sa libération ou qui a besoin
d'armes pour défendre sa liberté.
Dans nos mondes, les armes ne sauraient
être marchandises, elles doivent être livrées
absolument gratuitement dans les quantités nécessaires
et possibles aux peuple qui les demandent pour
les utiliser contre l'ennemi commun. C'est dans cet esprit que
lUnion soviétique et la République populaire
de Chine nous ont accordé leur aide militaire. Nous sommes
socialistes, nous constituons une garantie d'utilisation de ces
armes, mais nous ne sommes pas les seuls et nous devons tous
être traités de la même manière. (...
)
Je ne voudrais pas terminer ces mots, ce
rappel de principes que vous connaissez tous, sans attirer l'attention
de cette assemblée sur le fait que Cuba n'est pas le seul
pays dAmérique latine, tout simplement c'est Cuba
qui a la chance de parler aujourd'hui devant vous, je veux rappeler
que d'autres peuples versent leur sang pour obtenir le droit
que nous avons, et d'ici comme de toutes les conférences
et partout où elles ont lieu, nous saluons les peuples
héroïques du Vietnam, du Laos, de la Guinée
dite portugaise, de lAfrique du Sud et de la Palestine;
à tous les pays exploités qui luttent pour leur
émancipation nous devons faire entendre notre voix amie,
nous devons tendre la main et offrir nos encouragements aux peuples
frères du Venezuela, du Guatemala et de Colombie qui aujourd'hui,
les armes à la main, disent définitivement "
non " à l'ennemi impérialiste. |